Fondeur
VIRY Allichamps et Chevillon
Description:
Adresses : Cousances 1804-1872 – Allichamps 1851-1979 – Bar-le-Duc 1858-1866 – Chevillon 1912-1985
Arbre généalogique :
André Viry (1645- ?) grand-père de Bernard Viry
Jean (1704- 1761)
Bernard Viry (1747-1812) ??????????
Joseph-Bernard Viry (1792-1858) François Jacques Jules-Alexis
Louis (1835-1914) Adolphe
Bernard (1874-1938) Joseph (1876-1944) Henri (1882-1940)
André (?-1967) Pierre Louis
Les origines
Le 29 août 1553, le Seigneur de Florainville et sa femme Jacqueline de Roucy donnaient en location pour vingt années à Jehan Barisien deux moulins sis au finage de Cousances et autorisaient la construction d’ « un fourneau à fondre le fer sur certains prés appartenant au dit Barisien ».
À partir de l’année 1602, les seigneurs de Cousances deviennent les propriétaires du fourneau qui produit des marmites en fonte et des plaques de cheminée. Le 27 janvier 1753, un des comtes de Cousances, Pierre Joseph de Viard, fut confirmé par le roi Stanislas dans son droit « de faire ouvrir et tirer des mines de fer sur le ban et finage de Cousances pour la consommation de son fourneau dudit lieu. »
André Viry (né en 1645 à Chelset, en Belgique)
Devint le cocher de Nicolas Lemoine, héritier de la seigneurie de Cousances. André se marie en 1698 avec une femme de Cousances, Catherine Toussaint. Jean (2), son quatrième fils né en 1704, est toujours au service des seigneurs de Cousances comme lieutenant de justice de 1747 à 1761, date de son décès. Il travaille comme potier en fer dans le haut-fourneau propriété du châtelain. C’est dans cette entreprise qu’un de ses fils Bernard fait son apprentissage de mouleur et de maître de forges.
Bernard Viry (1747-1812)
Bernard Viry, petit-fils d’André, reprend la charge de son père Jean et assure jusqu’en 1781 la fonction de lieutenant de justice. Nommé syndic en 1786, il est l’assistant du seigneur et le véritable patron de la commune, gérant les finances, levant les impôts, dirigeant les corvées, réparant les chemins, Bernard participe à la rédaction des cahiers de doléances des habitants de Cousances et il est élu pour représenter le Tiers État à l’assemblée chargée de désigner les deux députés du Barrois aux états généraux de 1789.
Locataire depuis 1783 du haut-fourneau de Cousances, il l’exploite pour son propre compte. Il utilise le minerai local et celui du village voisin de Narcy. Les périodes d’activité sont réduites à huit mois par an en raison de la baisse du débit du ruisseau pendant l’été. Ce sont les roues hydrauliques à aubes qui fournissent l’énergie nécessaire pour épurer et concasser le minerai. Elles actionnent également les soufflets qui produisent l’air de combustion du haut-fourneau. Bernard fabrique de la poterie et aussi des boulets pour la Marine royale. Il continue à livrer des munitions pour les armées de la Révolution et s’est engagé à fournir boulets et obus dans les trois forges de la région, Cousances, Froncles et Commercy, qu’il louait à leurs propriétaires.
Bernard Viry peut enfin acheter le 10 Mars 1804 à son propriétaire, le comte de Gondrecourt, le haut-fourneau qu’il exploitait à Cousances comme locataire depuis près de dix ans. Il se rend également acquéreur du château seigneurial. En 1804, la forge occupe deux fondeurs, deux chargeurs et dix-huit mouleurs. Elle employait aussi un grand nombre de charbonniers, voituriers et ouvriers pour extraire le minerai et produisait annuellement 300 000 kilos de fonte. En plus des boulets et autres bombes, étaient fabriquées des marmites, des plaques de cheminée, des chaudières, des machines hydrauliques.
En 1800, Bernard est nommé maire de Cousances et le restera jusqu’à sa mort en 1812. Il décède le 29 mai 1812 à l’âge de soixante-quatre ans. Il laisse à ses héritiers une entreprise prospère qui emploie vingt-cinq personnes et en utilise quarante-cinq autres pour l’extraction du minerai, la fabrication du charbon de bois et le transport. Trois de ses enfants travaillent avec lui, François, Jacques et Joseph-Bernard. C’est ce dernier qui va lui succéder à la direction du haut-fourneau.
Joseph-Bernard Viry (1792-1858)
Après le décès de Bernard Viry, sa veuve continue l’exploitation du haut-fourneau de Cousances avec l’aide de ses fils. Pour des raisons successorales, Madame Viry met en vente le 4 avril 1815 l’entreprise qui comprenait un fourneau avec ses rouages et soufflets, ses deux bocards et leurs places à mines, différents bâtiments à usage de bureau, de moulage, de râperie, de maréchalerie… Par suite de l’adjudication sur licitation des biens de la communauté avec feu son mari, par-devant le Tribunal Civil de Bar-le-Duc le 18 avril 1815, elle en devint l’unique propriétaire. Après son décès le 10 avril 1818, ses sept enfants encore vivants héritent en indivision de la forge. Le plus jeune Joseph-Bernard, né en 1792, achète le 16 août de la même année les cinq septièmes de ces biens à ses frères et sœurs. Le 17 novembre, il se rend acquéreur de la part de sa sœur récemment décédée. En attendant que l’acheteur en ait réglé la totalité de ces transactions, une Société Viry-Barisien a été créée entre les frères et sœurs (Barisien était le nom de son beau-frère).
Joseph-Bernard Viry, maître de forges à Cousances
À compter de 1826 et à l’âge de trente-quatre ans, Joseph Bernard est devenu le seul propriétaire du haut fourneau. C’est encore une période de croissance pour la métallurgie de la région. (Le nombre des forges va doubler de 1800 à 1850.) Aussi, il veut augmenter sa production de fonte et projette en 1835 de construire un deuxième haut-fourneau. Il était difficile en ce début de siècle d’augmenter la production des installations existantes. La baisse du débit des cours d’eau entraînait chaque été un chômage forcé de quatre mois. Avec le développement des usines métallurgiques, le charbon de bois devenait rare et de plus en plus cher. À partir de 1825, des progrès techniques vont peu à peu permettre de remédier à ces problèmes. Joseph-Bernard Viry commence dès 1830 à chauffer l’air de combustion dans un récupérateur de chaleur. Il ne construira pas un deuxième haut-fourneau à Cousances, il installera dès 1840 une machine à vapeur de douze chevaux. Il complète aussi sa faible production de fonte par des achats à des confrères de « saumons de fonte noire » qu’il utilisera pour augmenter le tonnage des pièces fabriquées dans son atelier de moulage.
Des membres de la famille Viry veulent aussi tenter leur chance en créant leur entreprise. Certains, comme Jean-André, François-Alexis ou Paulin deviennent fondeurs de cloches le temps de remplacer celles qui ont été détruites pendant la Révolution. Il y en avait plus de cent mille à couler dans toute la France. D’autres sont obligés de quitter le pays pour trouver du travail. Ils reprennent l’exploitation de forges de la région. François-Alexis dirige de 1839 à 1860 les usines de Charmes-la-Grande et de Sommevoire, Charles-Nicolas celle de Vendoeuvre-sur-Barse. Paulin s’expatrie et s’associe en 1829 avec Jacques Ducel pour diriger le haut-fourneau de Pocé-sur-Cisse en Touraine jusqu’à sa mort en 1843.
Quant à Jacques-Antoine, marié à sa cousine Béatrice Viry (d’où son surnom de Viry-Viry), il crée à Cousances en 1836 près du château un deuxième haut-fourneau et une fonderie de fonte. Son entreprise, très connue pour la qualité de ses fabrications de pièces pour la mécanique, ne s’arrêtera qu’en 1877. À sa mort, l’Écho de l’Est écrivait « C’est une perte regrettable pour les pauvres et pour les ouvriers. Car sa bourse était ouverte pour soulager toutes les misères et sa fortune employée à donner de l’ouvrage à de nombreux travailleurs. Doué d’une capacité hors ligne et grâce à des efforts constants, il a fondé un établissement métallurgique renommé ».
Le conseil municipal de Chevillon en Haute-Marne décide le 21 Janvier 1823 que « deux nouvelles cloches soient établies dans le clocher ». Le marché pour la fourniture de deux cloches et la refonte de celle qui restait est adjugé le 21 avril 1823 au neuvième et dernier feu à François-Alexis Viry, fondeur à Cousances.
Joseph-Bernard Viry, maître de forges à Saint-Dizier
Joseph-Bernard se marie en 1834. Victoire Henriette est la fille de Nicolas Coquard commerçant, président du Tribunal de commerce et propriétaire du château de Saint-Dizier. Ce mariage lui ouvre des contacts avec le milieu industriel et commerçant de la ville. Il quitte Cousances pour venir habiter le château de Saint-Dizier après le décès de ses beaux-parents en 1840 et 1843.
J.B. Viry – André Père et Fils (1849-1859)
Joseph-Bernard a beaucoup d’ambition pour lui et pour son fils Louis né en 1835. Très entreprenant, il s’associe à d’autres maîtres de forges et laisse à ses confrères la gestion journalière des entreprises qu’il contrôle. Résidant maintenant à Saint-Dizier, il quitte la direction du haut-fourneau de Cousances et constitue en 1849 avec Hippolyte André une société pour son exploitation, elle se dénomme « J.B. Viry – André Père et Fils ». Il s’associe également en 1851 avec François Robert et son cousin Jules-Alexis Viry pour acheter à Bourlon, maître de forges à Charmes-la-Grande, le haut-fourneau d’Allichamps.
En 1848 puis en 1858, Joseph-Bernard participe avec Guyard à l’augmentation du capital de la société « Adam, Huin, Drouot et Cie » qui exploite la Forge Neuve de Saint-Dizier, une des premières usines de la région qui utilise la méthode anglaise d’affinage de la fonte. Ses approvisionnements viennent des hauts-fourneaux voisins, en particulier de celui d’Éclaron. Joseph-Bernard possède treize soixante neuvièmes du capital et ses associés sont des notables bragards : Messieurs Adam, Briquet, Guyard, Robert et Drouot.
Joseph-Bernard Viry, maître de forges à Bar-le-Duc
Joseph-Bernard n’est plus partisan des hauts-fourneaux à charbon de bois et trouve trop superficiels les gisements du minerai local. Il veut se lancer à fond dans l’utilisation de la houille et de la minette lorraine. La position géographique des usines d’Allichamps et de Cousances et leurs installations plutôt vétustes ne donnent pas confiance en leur avenir. Joseph-Bernard prend contact en 1857 avec Jean-Baptiste Bradfer, maître de forges à Naix dans la Meuse. Ce n’est pas un inconnu pour lui, il l’avait employé en 1828 dans son usine de Cousances et il avait apprécié ses qualités personnelles, son expérience et les recherches métallurgiques qu’il avait effectuées.
Il désire créer avec lui un nouveau haut-fourneau muni des derniers perfectionnements. Il serait construit à Bar-le-Duc qui est desservi par le canal depuis 1845 et par le chemin de fer depuis 1851. Cet emplacement situé à cent mètres du canal et à deux cents mètres de la voie ferrée, faciliterait l’approvisionnement en matières premières, (coke et minerai lorrain) et l’expédition des produits finis, tout en abaissant sensiblement leur coût. Le 28 janvier 1857, Joseph-Bernard écrit à Jean-Baptiste Bradfer « J’ai beaucoup pensé au projet dont nous nous sommes entretenus au sujet de nous associer pour établir près de chez vous un bocard à mines et un fourneau. Il sera muni d’une machine à vapeur horizontale de force douze à quinze chevaux. Le fourneau en question pourrait être alimenté par le coke ou le bois ou par ces deux combustibles. Quand vous serez décidé, j’irai sur les lieux et nous causerons plus amplement. Vous pouvez être assuré que si vous donnez suite à ce que vous projetez, je serai très content et très satisfait. » Un accord est conclu et confirmé dans une lettre de Joseph-Bernard le 16 mai 1857 : « Nous sommes associés pour moitié dans la construction et l’exploitation d’un fourneau à fondre le minerai de fer à Bar-le-Duc et d’un bocard à Nantois. Bradfer cède en toute propriété, dès maintenant et pour toujours, le terrain et le cours d’eau qu’il possède à Nantois pour y établir un bocard à mines (cet apport représente une valeur de dix mille francs). Il cède également à la société un terrain en pâture de pré contenant un hectare trente-huit ares et situé finage de Savonnières devant Bar qu’il a acquis de Messieurs Theriot et Colson au prix de sept mille cinq cent cinquante francs. Il est autorisé à acheter pour la société et aux mêmes vendeurs le surplus du pré allant jusqu’à la rivière. Comme gérant et directeur, Bradfer commencera immédiatement les travaux de construction et les poussera le plus activement possible. »
La demande de permission d’établir deux hauts-fourneaux est faite le 22 Juillet 1857 et l’autorisation de l’administration est accordée le 7 Juin 1859 pour la construction de deux appareils d’une taille imposante, dix mètres de haut, deux mètres cinquante de diamètre intérieur. Vingt ouvriers traiteront 4 500 tonnes de minerai pour produire 1 800 tonnes de fonte.
Malheureusement, un an après, Joseph-Bernard Viry, un des initiateurs du projet, décède le 12 Juillet 1858. Cette disparition est une perte pour la région. C’était un homme actif, entreprenant, très apprécié dans le milieu industriel. Il avait compris que l’avenir des hauts-fourneaux haut-marnais et meusiens était menacé par l’évolution des techniques et la concurrence d’autres établissements favorisés par la proximité des approvisionnements en houille ou en minerai. Il savait que le Gouvernement, sous la pression d’influences diverses, allait signer prochainement des traités de libre-échange avec l’Angleterre. Malgré l’avis défavorable de la Chambre de commerce et des industriels de Saint-Dizier, les droits de douane furent réduits en 1860, il en résulta un envahissement du marché et l’extinction des hauts-fourneaux les moins rentables.
Louis Viry (1835-1914)
Louis a seulement vingt-trois ans en 1858, année de la mort de son père. Il se trouve responsable d’un important groupe familial qui possède le haut-fourneau de Cousances et des participations dans celui d’Allichamps et dans la société La Forge Neuve de Saint-Dizier. Son père, trop tôt disparu, avait commencé la construction d’un autre haut-fourneau à Bar-le-Duc avec les Bradfer père et fils. Il avait aussi acheté près de quatre cents hectares de forêts pour assurer une partie de l’approvisionnement en charbon de bois de ses usines.
La Société Viry-André qui exploitait le haut-fourneau de Cousances est dissoute le 1er Avril 1859 et les héritiers Viry louent l’usine à Hippolyte André, qui finalement la rachètera en 1872. Louis hérite des parts du haut-fourneau d’Allichamps.
L’accord verbal entre les familles Viry et Bradfer est ratifié le 29 Décembre 1860 par la création d’une Société Bradfer-Viry.
Bradfer-Viry (1860-1866)
Ernest Bradfer prend la direction de la nouvelle société, développe la production et trouve de nouveaux débouchés. Mais, pour une raison inconnue, le haut-fourneau est mis en vente le 3 Mai 1866, neuf ans après la décision de sa construction. Cette vente faite devant le Tribunal civil des rémérés de Bar-le-Duc permettait aux vendeurs de racheter la chose vendue. C’est ce que fit la famille Bradfer. Louis abandonnait une entreprise en plein développement. Elle était promise à un bel avenir, elle va s’associer prochainement à Antoine Durenne pour produire des tuyaux en fonte.
Louis Viry seul
N’ayant pas d’ambitions industrielles, Louis va se contenter de racheter les parts de ses deux associés pour exploiter à son compte l’usine d’Allichamps et la faire administrer par différents directeurs jusqu’à la majorité de ses fils. Dans ce but, il vend en 1872 à son locataire le haut-fourneau de Cousances et se rend acquéreur le 25 mai 1873 des parts de François Robert et le 27 juin et 3 juillet 1879 de celles d’Adolphe et Justine Viry, les héritiers de son autre associé Jules Alexis Viry.
Allichamps avait eu une activité métallurgique dès le XVe siècle. La famille d’Orléans y possédait un fourneau qui produisait 250 tonnes de fonte par an. Après la Rèvolution, Bourlon l’achète et le loue à différents fermiers. Le tonnage coulé atteint 800 tonnes lorsqu’il le vend le 13 Janvier 1855 à la société formée entre François-Robert et les deux cousins Jules-Alexis et Joseph-Bernard Viry. Elle s’appellera Jules Viry et Cie, puis L.B. Viry après le décès de Jules Viry.
Société Jules Viry et Cie (1858-1879)
Pendant cette période, Louis qui a hérité des parts de cette société, ne se comporte pas en capitaliste mais en grand propriétaire tirant des rentes de ce haut-fourneau ainsi que de ceux de Cousances et Bar-le-Duc. Ce petit empire résultait d’une juxtaposition d’unités et non d’une intégration avec une direction unique. Louis ne semble pas s’être investi beaucoup dans la gestion de ses entreprises. Il se sépare assez rapidement de Cousances et de Bar-le-Duc.
Jules-Alexis, son associé, a vingt ans de plus que lui, il habite sur place à Allichamps et devient maire de la commune. Homme de terrain et bon technicien, il est, jusqu’à son décès, le véritable patron de la forge. Pour travailler toute l’année, il installe dès 1861 une machine à vapeur de quatre chevaux, puis une plus puissante de vingt chevaux en 1866. Il invente un système de récupération de la chaleur des gaz du haut-fourneau qui peut atteindre des températures élevées, jusqu’à 650 degrés. Il est du reste adopté par l’usine voisine du Châtelier. Les deux cousins participent au grand meeting de Saint-Dizier le 18 décembre 1869. Tous réclamaient le développement des moyens de transport, chemin de fer et canaux, pour réduire leur prix de revient. À cette époque, le canal ne passait pas encore à Saint-Dizier.
Société L.B. Viry (1879-1897)
Après l’achat des parts de ses deux associés, Louis est devenu l’unique propriétaire du haut-fourneau d’Allichamps. La société Jules Viry et Cie s’appelle désormais L.B. Viry pour devenir L.B. Viry et Fils lorsque ses enfants prennent la direction de la fonderie au début du XXe siècle.
Le haut-fourneau continue de fonctionner malgré un coût de revient élevé. L’avènement de la République et la constitution d’un gouvernement qui ne renouvelle pas les traités de libre-échange, donnent pour quelques années un sursis à l’extinction des hauts-fourneaux au charbon de bois. Celui d’Allichamps, fermé en 1886, est remis en route deux ans plus tard. Il approvisionne les Forges de Champagne de Saint-Dizier qui apprécient ses fontes au bois pour réaliser des commandes destinées à l’artillerie. Le haut-fourneau est définitivement arrêté en 1893, un des derniers de la région. Pour produire 800 tonnes de fonte, il n’employait que sept ouvriers, ceux-ci sont facilement reclassés dans les ateliers de fonderie qui s’étaient considérablement développés à côté du haut-fourneau.
En cette fin de siècle, l’entreprise profite des récentes inventions. Elle est en pleine expansion, des bâtiments sont construits en 1882 et 1891 ainsi qu’une petite cité ouvrière de huit logements.
Édité en 1893, un catalogue propose à la clientèle des articles en fonte de toutes formes et de toutes dimensions, des casseroles, des fers à repasser, des poêles, des tuyaux, des grilles, des plaques de cheminée, des candélabres… On n’y trouve pas de modèles de statues, une spécialité qui ne fait pas partie des fabrications de cette usine. En 1899 et en 1900, la production annuelle dépasse 2 800 tonnes de pièces moulées avec un effectif de plus de 150 ouvriers.
Louis Viry, le notable
Une nature droite, calme et toujours égale prédestinait Louis Viry à la magistrature. Élu juge titulaire en 1891 puis en 1893, il est choisi comme président du Tribunal de commerce de Saint-Dizier en 1895 et en 1897. Le tribunal a pour but de régler les litiges et les faillites des commerçants et des industriels. Succédant à son cousin Jules-Alexis, il est élu Maire d’Allichamps. Il participe en 1880 à la fondation de la Société des lettres, des sciences et des arts de Saint-Dizier. Louis se marie en 1868 avec Apolline Lambert, fille d’un notaire de Soissons. Ce défaut d’alliances matrimoniales est un des éléments du déclin et de la disparition prévisible de la fonderie d’Allichamps. Il mourra le 22 août 1914.
Bernard (1874-1938), Joseph (1876-1944), Henri (1882-1940), les derniers Viry maîtres de forges.
« Maître de forges » est devenu un titre prestigieux qui ne correspond plus à la réalité mais que les enfants de Louis Viry vont porter encore de nombreuses années.
On exploite maintenant des fonderies de deuxième fusion. Pour refondre le métal produit en Lorraine, on emploie un cubilot, appareil qui demande moins de savoir-faire et d’expérience que le haut fourneau. Il ne fonctionne plus en marche continue et il permet de produire des tonnages très supérieurs. Les anciens maîtres de forges, souvent à la tête d’usines importantes, sont de plus en plus confrontés à la rentabilité et à la concurrence de sociétés anonymes nouvellement créées.
Les fonderies L.B. Viry et Fils (1897-1918)
À la majorité de Bernard en 1897 et de Joseph en 1905, leur père les fait entrer, chacun pour un sixième, dans le capital de la société. Il veut que ses enfants habitent à proximité de leur lieu de travail. Sur un terrain déjà acheté en 1882, il leur construit deux belles maisons, la Sablière en 1890 pour Bernard et le Petit Bois en 1909 pour Joseph.
Il leur confie la direction de son entreprise de plus de 150 personnes. Grâce au dynamisme de ses nouveaux dirigeants et du travail de ses 80 à 90 mouleurs, la production annuelle dépasse jusqu’à la guerre de 1914-1918 les 2 500 tonnes de pièces fabriquées. Pour assurer dans les meilleures conditions l’approvisionnement en fonte neuve, L.B. Viry participe en 1910 avec d’autres fondeurs haut-marnais, à la hauteur de dix pour cent, au rachat de la Société des hauts-fourneaux de Maxéville près de Nancy.
Bernard
D’un naturel affable et même blagueur, Bernard se lance dans la politique, maire d’Allichamps, il est élu conseiller général en 1906 puis en 1913. Il se passionne pour la chasse. Il est un membre actif (trésorier) du Comité métallurgique et du Syndicat des fondeurs de Champagne. Il adhère totalement aux idées du catholicisme social.
Joseph
Diplômé de HEC, Joseph partage avec son frère la direction de la fonderie mais mène une vie très simple, partagée entre sa famille et son amour pour tout ce qui touche à la nature.
Les fonderies B.J. Viry (1918-1979)
Liquidée seulement en 1919, la succession de Louis est complexe. Cinq des héritiers sont mineurs. Conformément au jugement du Tribunal de Wassy, les biens immobiliers et forestiers sont vendus sur licitation le 4 août 1919. Les quatre sixièmes de la société L.B. Viry encore possédés par Louis sont partagés entre quatre de ses enfants Bernard, Joseph, Henri et Apolline. Ayant des besoins de liquidités pour investir dans son usine de Chevillon, Henri vend le 22 Juillet 1918 ses droits sociaux à Bernard et Joseph. Ceux-ci deviennent propriétaires de la totalité de l’entreprise qui se dénomme désormais B.J. Viry.
La guerre de 1914-1918 a eu des conséquences dramatiques pour la France, sa démographie et son économie. La société B.J. Viry n’est pas épargnée par les conséquences de la guerre. En 1918, elle continue son activité, mais avec un personnel réduit de moitié. Les quarante à cinquante mouleurs restants ne produisent plus que 1 300 à 1 450 tonnes par an. Le marché de la fonte d’ornement et celui du chauffage est en crise. Les goûts et la mode ont changé.
Deux débouchés vont contribuer à maintenir l’activité de l’entreprise : la fourniture de cadres de piano en fonte et la vente des « poêles lyonnais », très simples de conception et de fabrication, qui peuvent brûler des combustibles bon marché, boulets ou briquettes de charbon. La fonderie d’Allichamps fournit toutes les marques prestigieuses de pianos de cette époque, Gaveau, Pleyel, Klein, Erard… Pour les rendre rigides et capables de supporter la tension des cordes, les cadres sont munis de nombreuses nervures. Leur coulée exige du savoir-faire et une expérience acquise après des essais et des tâtonnements. Les modèles doivent être légèrement cintrés pour compenser le voilage de la pièce au cours du refroidissement dans le moule.
La crise des années trente va de nouveau faire baisser la production. Le tonnage expédié de 1932 à 1939 ne dépasse pas 900 tonnes par an. Comme l’approvisionnement en fonte neuve ne pose plus de problème, la décision est prise en 1938 de céder la moitié de la participation dans la Société des hauts-fourneaux de Maxéville. Cet apport d’argent frais est le bienvenu.
Les derniers maîtres de forges d’Allichamps vont bientôt disparaître, Bernard décède en 1938 et Joseph en 1944. Ils avaient laissé dès 1933 la direction de l’entreprise à leurs fils respectifs, André et Pierre. Celui-ci sera membre de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Saint-Dizier et le représentant patronal au conseil d’administration de l’ASSEDIC.
Pierre et André sont mobilisés en 1939. Après s’être distingués dans des combats contre l’armée allemande, ils sont faits prisonniers. Pendant leur absence et durant toute l’occupation, la gérance est assurée par leurs frères Jacques et Etienne.
Avec le retour de captivité d’André et de Pierre, la fabrication repart et le tonnage produit augmente sensiblement pour atteindre près de 2 000 tonnes durant les années soixante. Avec des bénéfices retrouvés, d’importants investissements sont effectués, de nouveaux cubilots, un pont roulant, une grenailleuse, des machines à mouler ou à décocher sont installés. Ces achats ont eu du mal à être rentabilisés en raison de l’implantation et de la vétusté des bâtiments et aussi des problèmes liés à la structure familiale de cette société.
Le décès d’André Viry en 1967 et le départ en retraite de l’autre gérant Pierre Viry posent des problèmes de succession. Le capital est réparti entre les douze héritiers des deux branches Bernard et Joseph. Les actions détenues par la famille de Joseph sont achetées en 1967 par Jacques Viry et par son ami Marcel Néouze. Jacques est nommé PDG de la société.
Mais la famille Viry perd le contrôle des Fonderies B.J Viry qui passe entre les mains de Bernard Cordier en 1979. La fonderie cessera toute activité en 1991.
Henri Viry (1882-1940), fondeur de 1912 à 1940.
Henri, le plus jeune fils de Louis, veut à la fin de ses études à HEC, continuer le métier traditionnel de sa famille et diriger une entreprise métallurgique. Pour avoir une affaire à lui, il prend contact avec Huot, propriétaire d’une petite fonderie de fonte située à Chevillon.
« Cette usine est installée sur le site d’un ancien haut-fourneau construit vers 1840 par Evre et Frerson. Elle produisait à cette époque huit cents tonnes de fonte par an avec un effectif de sept personnes. La société des Forges de Rachecourt en prend le contrôle. Turquet, inventeur d’un système breveté de raccords de tuyaux, acquiert la forge en 1877 mais fait faillite l’année suivante. Le haut-fourneau éteint, les bâtiments sont occupés par une scierie, puis par les Établissements Nouvion, fabriquant de « noir de fonderie ». En 1910, Huot achète l’usine pour y installer une fonderie de fonte, en complément de la fonderie de bronze qu’il possède à Saint-Mihiel. Mais cette implantation ne lui donnant pas les résultats escomptés, il s’associe en 1911 avec Henri Viry et lui cède en Octobre 1912 la totalité de l’entreprise. Les débuts de l’entreprise ne sont pas faciles. La production atteint seulement six cents tonnes par an, avec un effectif d’une vingtaine d’ouvriers. La guerre de 1914-1918 et la mobilisation d’Henri Viry réduisent considérablement l’activité. Démobilisé seulement en février 1919, Henri reprend la direction de la fonderie. Le tonnage produit dépasse neuf cents tonnes en 1929 avec une quarantaine d’ouvriers. De nouveaux bâtiments sont construits. Mais, la crise des années trente fait baisser les résultats d’exploitation qui sont négatifs de 1931 à 1937. Homme discret, Henri se rendait tous les après-midi par le train à Chevillon distant de vingt-cinq kilomètres. C’était une coutume ancestrale de confier la marche journalière de l’entreprise à un directeur qui habitait sur place. Ce fut la tâche de Monsieur de Saint-Victor puis de Monsieur Jacob.
Fonderies H. Viry (1940-1985)
Après le décès subit d’Henri en juin 1940, une société, les Fonderies H. Viry, est formée entre les héritiers, sa veuve et ses cinq enfants. L’un d’eux, Louis, devient le gérant de la SARL en attendant la fin des études à l’école centrale de son frère François. Pendant toute l’occupation allemande, il a une conduite remarquable dans tous les domaines. En 1945, études terminées, François prend immédiatement la direction de l’entreprise qui, du fait de la guerre, produit moins de 400 tonnes de pièces par an, avec un effectif d’une trentaine de personnes. Malgré les multiples difficultés, la production va suivre une courbe croissante. Elle atteint les 2 800 tonnes de fonte au cours des années 1975 à 1980 avec un effectif voisin de cent personnes. Mais il sera, pour de multiples raisons, impossible de dépasser le seuil des 3 000 tonnes, qui aurait assuré une bonne rentabilité des installations.
François reste à la tête de la fonderie jusqu’à sa retraite et décède en décembre 2016.
Il ne s’est pas trouvé de candidat à la direction de la société. Une fusion avec une fonderie voisine a échoué. Finalement, l’entreprise est cédée en 1985 à sept membres du personnel groupés autour de Jacques Gouttman. Après une présence de la famille Viry pendant deux siècles à Cousances, Bar-le-Duc, Allichamps et Chevillon, la dernière page de son histoire métallurgique se termine. L’usine change de nom. Elle s’appellera : Les Fonderies du Vallage, puis Champagne-Lorraine fonderies, puis Cordier Fils.
ANNEXE
LES VIRY maîtres de forges de père en fils
Cousances 1804-1872 – Allichamps 1851-1979 – Bar-le-Duc 1858-1866 – Chevillon 1912-1985
En complément des recherches sur le patrimoine industriel de la région de Saint-Dizier, de son sauvetage et de la réhabilitation de ses sites métallurgiques, j’ai pensé qu’il était intéressant d’étudier la vie et la personnalité des maîtres de forges de la Haute-Marne. Avec la présence à la fois des forêts, du minerai et des cours d’eau, ce département était devenu au milieu du XIXe siècle le premier producteur français de fonte. Des hommes, souvent exceptionnels, ont su après la fermeture des hauts-fourneaux, développer des fonderies de deuxième fusion et employer une population ouvrière dure au travail, experte dans son métier et attachée à ses traditions locales.
Ces maîtres de forges vont créer de véritables dynasties familiales. Leurs descendants ont continué, de père en fils, à diriger les entreprises dont ils avaient hérité. Ce fut le cas de la famille Viry. À partir de 1793 et pendant deux siècles, cinq générations se sont succédées à la tête d’usines métallurgiques sur quatre sites différents Cousances, Allichamps, Bar-le-Duc et Chevillon.
Bernard Viry est le fondateur de la dynastie. Très entreprenant, son fils Joseph-Bernard possède des participations dans quatre sociétés métallurgiques. Louis lui succède mais se sépare de la plus grande partie de ces usines et vit de ses rentes. C’est en général ce que fait la troisième génération. Quant à leurs descendants, Bernard, Joseph, Henri et leurs enfants, ils gèrent les dernières années des entreprises familiales et sont, en partie, les auteurs de leur disparition.
Cette saga permet d’assister à la fin d’un type de rapports sociaux hérités de l’Ancien régime, mais aussi de constater l’importance de l’évolution de la société et des conditions de travail durant ce XXe siècle.
François Viry
Voir dans la revue Fontes numéro 63 (décembre 2006) l’intégralité de cet article et son iconographie
La fonderie haut-marnaise, d’un siècle à l’autre
Je viens d’évoquer la vie et la personnalité de mes ancêtres, les maîtres de forges Viry, et d’essayer de retracer leur parcours pendant ces deux derniers siècles. En effectuant cette recherche, j’ai été amené à constater l’influence exercée sur la société par les guerres qui ont ensanglanté la France, déjà en 1870 mais surtout durant les années 1914-1918 et 1939-1945. Ces événements ont bouleversé les mentalités et transformé profondément les modes de vie et la structure industrielle. Quelle évolution nous pouvons constater entre la stabilité de la monnaie et des mœurs avant 1914 et les dévaluations successives du franc et des liens conjugaux après la dernière guerre !
À la fin des hostilités en 1945, les techniques de moulage étaient encore sensiblement les mêmes que les siècles précédents. On peut le constater en parcourant le volume de l’Encyclopédie paru à la fin du XVIIIe siècle et consacré aux « Forges ou l’Art du Fer ». La machine à vapeur puis l’électricité a bien sûr remplacé les roues hydrauliques, mais la fonderie fait encore appel aux hommes, à leurs savoir-faire et leurs capacités physiques pour faire tourner les usines.
Directeurs de l’usine de Chevillon pendant 40 ans, j’ai été le témoin de la transformation très rapide de la fonderie à partir de 1950 et durant la période des « trente glorieuses. » Pour augmenter la production et répondre aux besoins de la société de consommation, tout va évoluer et se mécaniser : les bâtiments, le matériel de moulage et de noyautage. Les rapports sociaux vont aussi changer profondément avec une réglementation plus stricte des conditions de travail et avec une place accrue pour les organisations syndicales.
Les bâtiments
Reconvertis en fondeurs de deuxième fusion, les anciens maîtres de forges ont continué d’utiliser les bâtiments existants. Ce sont des constructions en dur à l’allure de remises agricoles. Dispersées, basses de plafond, elles sont en général mal adaptées à un usage industriel. Édifiées prés des rivières qui assuraient la force motrice, elles ne permettent pas l’édification de vastes bâtiments et la réalisation des fosses nécessaires au décochage et au transport du sable. À Chevillon comme dans d’autres fonderies, le risque d’inondation en cas de crue de la rivière était un autre handicap.
Pour assurer la manutention des moules et effectuer la coulée des grosses pièces, les maîtres de forges se sont adressé aux seuls artisans expérimentés de leur région, les charpentiers. Avec leur savoir-faire, ils vont réaliser de solides et massives grues en bois, dont la portée sera forcément limitée en diamètre et en surface (il en reste un exemplaire à Dommartin-le-Franc). Il faudra attendre l’utilisation des poutrelles en fer, des rivets et enfin de la soudure électrique pour doter les ateliers de ponts roulants desservant tout l’espace disponible.
La fusion
La fusion de la fonte reçue de Lorraine est réalisée dans un cubilot. Cet appareil, inventé par Wilkinson, est dérivé du haut-fourneau, la fonte et le combustible sont chargés alternativement dans le gueulard. Il va permettre de produire des quantités très importantes, plus de 50 tonnes de fonte liquide par heure.
J’ai encore le souvenir du chargement du cubilot à la main, on utilisait pour le coke une rasse, sorte de panier en osier. Cette opération se mécanisera peu à peu avec des monte-charges, des bennes à fond ouvrant et enfin avec le pesage automatique des matières premières. Le fonctionnement du cubilot s’améliorera également en utilisant le refroidissement du creuset par ruissellement d’eau, l’oxygénation et le réchauffage de l’air de combustion, un avant-creuset et en assurant le dépoussiérage des fumées.
Grâce à des contrôles pyrométriques, des analyses spectrométriques et chimiques, des essais mécaniques, on peut obtenir un métal de qualité. Des traitements dans la poche de coulée donnent la possibilité de réaliser des fontes GS comparables à l’acier. Il devient possible de vérifier par ultrasons la texture des pièces fondues et détecter des défauts non apparents.
Finalement l’utilisation du four électrique à induction s’est développée. Il permet, à partir de ferrailles de récupération, d’obtenir économiquement un métal aux caractéristiques bien définies. Ce n’était pas le cas avec le cubilot, des réactions se produisaient pendant la fusion entre le coke et le métal enfourné. Le four électrique a aussi l’avantage de réduire la pollution atmosphérique autour de la fonderie en supprimant les émissions de poussières produites par le cubilot et son ventilateur.
Le matériel
La brouette et le wagonnet sur rail assurent économiquement les premiers transports dans les ateliers de la fonderie. Ils sont remplacés peu à peu par des bandes transporteuses et des chariots élévateurs.
Au début du siècle, l’électricité est utilisée seulement pour l’éclairage des ateliers et pour faire tourner les plus gros équipements, comme la sablerie et le ventilateur des cubilots. Pour réaliser plus économiquement des pièces en moyenne ou en grande série, on va utiliser des machines à mouler. Les machines Utard apportent un premier progrès, le mouleur effectue avec un levier le serrage du moule et le démoulage se fait par retournement. Produit par des compresseurs, l’air comprimé sera un élément déterminant dans l’évolution des moyens de fabrication. Des machines à mouler pneumatiques, de plus en plus perfectionnées, combinent le serrage du sable par plateau, secousses et vibrations avec le démoulage par chandelles. Des meuleuses et des burins pneumatiques, très maniables, seront utilisés pour faciliter l’ébarbage des pièces qui sont maintenant débarrassées du sable par grenaillage. Plus de brosses, ni de limes, ni de tonneaux à dessabler !
Une fois les moules coulés, le sable doit être récupéré et régénéré pour une nouvelle utilisation. Les moulins à sable et leurs lourdes meules sont remplacés par des sableries automatiques qui permettent de transporter et de malaxer le sable en continu. Les machines à mouler demandant un sable de qualité constante, on dut abandonner le sable naturel de la région, ce « sable vert » avait une teneur en argile trop variable d’une couche à l’autre de la carrière. Il est remplacé par un sable synthétique, du sable siliceux additionné des produits nécessaires au serrage (argile ou bentonite) et à l’aspect des pièces (noir de houille).
À l’époque de l’Encyclopédie, fin XVIIIe siècle, les noyaux étaient réalisés en sable naturel mélangé avec du crottin de cheval pour lui donner plus de cohésion. Cette méthode fut longtemps employée par les usines qui employaient des chevaux pour les grosses manutentions. On utilisa ensuite des sables agglomérés par des produits amylacés, dextrine ou amidon et passés à l’étuve pour obtenir la résistance nécessaire.
Les bureaux d’études créant des pièces de plus en plus complexes (les blocs moteurs d’automobiles par exemple) avec de nombreux noyaux qu’il fallait réaliser très rapidement et économiquement. Les industries de la chimie ont alors inventé de nombreuses méthodes de fabrication par gazage ou par polymérisation. Ces procédés silicate Co2, croning, boîte chaude, ashland…, permettent le durcissement du noyau dans l’outillage.
Des sables additionnés de résines à prise rapide sont maintenant utilisés pour mouler les pièces de grandes dimensions. Comme il suffit de remplir le moule de sable sans avoir à le serrer, ce travail ne demanda pas de compétences particulières. Après la prise du sable, un démoulage délicat et la pose de nombreux noyaux dans le moule peuvent exiger un personnel plus qualifié.
L’importance des séries à couler pour l’automobile ou la machine agricole a entraîné l’installation de chaînes de moulage automatiques ou semi-automatiques. Elles permettent d’obtenir des pièces précises et de qualité. Avec l’aspiration des fumées et des poussières, les ateliers de fonderie sont devenus plus propres. Les protections individuelles du personnel (chaussures, casques, lunettes, gants…) ont réduit les risques et les conséquences des accidents du travail. Mais il reste toujours à fabriquer les moules, à transporter, à couler le métal en fusion et à ébarber les pièces. Ce sont toujours des travaux pénibles et dangereux dans une atmosphère de chaleur, de bruits, d’odeurs et de poussières.
Le personnel
Si l’on constate une évolution progressive dans le matériel et les produits utilisés, aucune comparaison n’est possible entre le mouleur d’autrefois et l’ouvrier de fonderie de la fin du vingtième siècle. Je pense que le premier est à la fois un artiste et un artisan.
Un artiste : Il connaît son métier, un véritable art. Partant du métal en fusion, il crée dans son moule un objet artistique ou utilitaire. Il lui a fallut de nombreuses années d’apprentissage pour acquérir toutes les connaissances nécessaires. Très souvent, il travaille avec des modèles munis de parties démontables (celui du Vase Médicis en comporte huit) ou demandant de battre des mottes (pour réaliser des statues par exemple). Le sable, qu’il a préparé lui-même, doit être suffisamment serré pour que l’empreinte dans le sable soit rigoureuse, mais pas trop serré, il risquerait alors un défaut à la surface de la pièce, la galle. Il doit prévoir la position, les dimensions des canaux de coulée, la place des évents et connaître le temps nécessaire au refroidissement de la pièce dans le moule.
C’est également un artisan. Il effectue tous les différents travaux qui sont indispensables à la réalisation de ses pièces. À la sablerie, il prépare lui-même le sable de contact et le transporte jusqu’à son chantier. À partir de modèles en bois ou en métal, il réalise les moules en général le matin, les coule l’après-midi et les décoche. Ensuite, il faut rebattre le sable avec de l’eau pour pouvoir le réutiliser le lendemain. Son travail terminé, il est libre de quitter l’usine avant l’heure officielle. Responsable totalement de la bonne exécution de son travail, il sera payé uniquement en fonction des pièces coulées et réussies. Tout le petit outillage, composé de nombreuses gouges, spatules, lissoirs, truelles est la propriété personnelle du mouleur. Il est rangé soigneusement dans une caisse en bois.
Cependant, je ne veux pas trop idéaliser le travail des ouvriers de la fonderie durant cette première période du XXe siècle. Je dois me rappeler que le repos hebdomadaire n’a été rendu obligatoire qu’en 1906 et que les congés payés et la semaine de quarante heures datent de 1936 et la Sécurité sociale de 1945. Les conditions de travail étaient pénibles. Le personnel devait fournir des efforts physiques importants dans le bruit, la chaleur et la poussière. Ce qui entraînait un usage immodéré de boisson alcoolisée. Malgré les interdictions, les ouvriers consommaient beaucoup de vin, introduit parfois en fraude au-dessus le mur de l’usine. Les cas d’alcoolisme n’étaient pas rares et les cafés se remplissaient les jours de paye. Les anciens ont boudé les distributeurs de boissons, les plus jeunes ont fini par les adopter.
Au fil des années, l’embauche de nouveaux employés devint de plus en plus difficile. Auparavant, le père prenait, à la sortie de l’école, son fils avec lui dans son chantier et lui apprenait le métier « sur le tas. » Les mentalités vont évoluer et les parents ne désirent plus que leurs enfants continuent ce métier par trop pénible. Comme avertissement, les mères de Chevillon disaient à leur garçon « Étudie bien en classe. Si non, tu seras obligé d’aller travailler au fourneau. » Le Centre d’apprentissage de Saint-Dizier avait peu de volontaires pour s’inscrire dans la section fonderie. La direction y mettait d’office ceux qui n’avaient pu entrer dans les autres classes du lycée.
Pour remédier à cette crise de main-d’œuvre, les entreprises ont dû recourir à des immigrés algériens, marocains ou turcs. Cela créa bien des problèmes d’adaptation pour ce personnel transplanté sans transition dans un monde occidental et industriel.
Commencée au milieu du siècle, la mécanisation de la fonderie entraîne une spécialisation des différentes étapes de la fabrication. Le moulage, la pose des noyaux, le remmoulage, le clavetage et le chargement des moules, le traitement des sables, toutes ces tâches sont confiées à des ouvriers spécialisés, certaines sont réalisées par des machines. Ces travaux peuvent s’apprendre rapidement et la plupart ne demandent plus qu’une simple surveillance pour intervenir en cas de panne ou d’incident sur la chaîne de moulage. Le personnel est maintenant payé au mois, avec éventuellement des primes de rendement. Ces primes ne peuvent plus être que collectives pour l’ensemble d’un chantier et ne sont plus aussi incitatrices que ne l’était le salaire aux pièces des années passées.
En raison de la pénibilité du travail, le personnel féminin est rare en fonderie. Dans les ateliers d’ébarbage et surtout de noyautage, j’ai toujours apprécié sa dextérité et sa rapidité malgré la monotonie des gestes mille fois répétés.
Patrons et salariés
J’ai souvent entendu reprocher au patronat d’avoir tenu le personnel par le système de ses œuvres de bienfaisance. C’est l’usine qui fournit le logement et même certains biens de consommation. Dans la vie politique, on estimait alors qu’un homme puissant et riche, le patron, était plus capable de représenter les électeurs et mieux placé pour défendre leurs intérêts. Cinq membres de la famille Viry ont été maire de leur commune à Cousances, Allichamps et Chevillon.
Jean-Marie Moine écrit dans son livre Les Barons du fer « Le paternalisme, quelle que soit la sincérité patronale, avait une dimension oppressive par des mesures de rétorsion, des amendes, comme par les règlements, le chantage à la perte du logement, à l’obtention d’une bourse pour le fils ou par les formes douces et indolores du conditionnement social et idéologique, au travers des fêtes et cérémonies, du contrôle des associations locales et des municipalités et des liens avec le clergé. Les maîtres de forges réagissaient avec dureté lorsque leurs ouvriers contestaient les « bienfaits » dont ils étaient l’objet ou renâclaient devant la discipline qui leur était imposée. Les syndicats étaient récusés. »
À l’époque de construction des hauts-fourneaux, les premiers exploitants avaient dû faire venir de l’extérieur la main-d’œuvre nécessaire et la loger à proximité. Je pense que ces habitudes ont perduré avec le développement des entreprises de la région. L’état et les communes se désintéressaient alors des problèmes de logement.
Au fil des années, les mentalités ont évolué avec le développement de l’accession à la propriété, la possibilité de se déplacer facilement et la construction des HLM. Le logement ne fera plus partie du contrat de travail. Ce sera un bien pour les employés qui acquièrent plus de liberté et pour l’entreprise qui n’est plus obligée d’immobiliser des capitaux importants et d’assurer l’entretien des cités ouvrières.
Les conventions collectives règlent maintenant les relations patrons ouvriers. Des lois et des quantités de règlements fixent les conditions et la durée du travail avec la possibilité de résoudre les conflits devant le Conseil des Prud’hommes. Je crois que la société industrielle ne se transforme pas par décret mais par une pratique d’une politique contractuelle fondée sur le compromis et non sur « le toujours plus ». En définissant le comité d’entreprise comme un lieu d’expression des salariés, il faudrait viser à concilier l’économique et le social et renforcer la représentation du personnel tout en maintenant un pouvoir de direction exempt de toute cogestion.
Les entreprises familiales
Au cours du XXe siècle, le mythe du « patron de droit divin » va disparaître face à la dure réalité pour les chefs d’entreprise d’être confrontés aux lois du marché. Jean-Marie Moine, dans un article de la revue « Entreprise et Histoire » de juin 1996 évoque les facteurs qui ont conduit à la disparition ou contribué à la pérennité des entreprises métallurgiques de Haute-Marne.
Sont fermées ou ont déposé leur bilan, de vieilles fonderies employant quelques dizaines d’ouvriers et restées depuis des années à l’écart de presque toute modernisation. Également ont disparu les sociétés victimes de la contraction du marché, de la concurrence, de ses prix de revient excédant ses prix de vente, d’un endettement excessif ou encore endormie sur ses traditions de gestion patriarcale de la main-d’œuvre.
La capacité d’arbitrer entre l’intérêt de l’entreprise et celui de la famille se mesure dans l’attention portée à la formation et à la sélection des héritiers. Certains dirigeants ont choisi entre leurs fils ou ont préféré un neveu à un fils sur des critères de compétence. Les tensions qui s’exercent au sein de l’entreprise familiale peuvent être illustrées sur un autre point, le risque de dilution du capital entre un grand nombre d’héritiers au fur et à mesure de la succession des générations. Pour y faire face, des patrons ont pratiqué le recentrage périodique du capital entre les mains du dirigeant ou d’un groupe d’actionnaires, car la petite ou moyenne entreprise peut difficilement se satisfaire de la séparation entre propriété et pouvoir de gestion.
D’autres gérants ont décidé de vendre, considérant qu’aucun des héritiers n’était à la hauteur. Ils ont choisi la voie de la cession préventive avant de connaître les difficultés promises aux entreprises moyennes indépendantes face à la concurrence des grands groupes.
L’auteur de l’article s’interroge sur les secrets de la longévité des entreprises familiales. Un trait peut être mis en évidence, le poids des solidarités. Tous les dirigeants d’usine encore en activité sont apparentés. Souvent les liaisons matrimoniales ont suivi ou précédé des accords économiques.
Mais, quelle que soit la solution adoptée ou imposée par les événements, la fonderie haut-marnaise est de plus en plus confrontée à la concurrence des pays à faible taux de salaire. Elle doit se spécialiser dans la fourniture de fonte de qualité.
Ces réflexions sur l’évolution de l’industrie de la fonderie peuvent paraître à certains bien techniques, à d’autres trop superficielles. Pour moi, elles sont un peu nostalgiques. Penché sur mon passé de fondeur, je peux avoir des regrets sur cette mutation qui est pourtant irréversible. Face aux impératifs de rentabilité et de prix de revient, soumis à une mécanisation à outrance, les ouvriers ont perdu dans ces tâches parcellaires et répétitives, l’intérêt et la satisfaction que le mouleur, il y a 50 ans à peine, pouvait trouver dans son travail.
Heureusement, l’introduction de l’informatique dans les entreprises crée de nouveaux métiers et des emplois valorisants. Grâce à la CAO, conception assistée par ordinateur, les nouvelles pièces sont dessinées et les outillages sont prévus pour tenir compte du cahier des charges. La simulation du remplissage du moule et du refroidissement du métal est une aide précieuse dans la conception optimale des pièces à couler. Les bureaux d’études et des méthodes utilisent des logiciels performants qui programment la fabrication depuis la prise de commande jusqu’à la facturation. C’est une nouvelle étape et un nouvel avenir pour la fonderie du XXIe siècle.
Sources et liens externes
Sources : 1) Cousances et Cousancelles , notice de A. Guillemin - 2) Ernest Bradfer de Pascal Tilly - 3) La Métallurgie Haut-Marnaise des Cahiers du Patrimoine - 4) La fabrication de la fonte et du fer de Pierre Béguinot - 5) Les Barons du fer de Jean Marie Moine - 6) La Revue Fontes de l ’ ASPM - 7) La Revue Entreprise et Histoire - 8) Les Revues de la Société des Lettres de Saint-Dizier - 9) L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert - Forges ou l’art du fer - 10) Forêts et hauts-fourneaux du XVIe au XXe siècle de Philippe Delorme - 11) Fonderie, une industrie du XXIe siècle des Fondeurs de France - 12) Les Viry maîtres de forges de père en fils par François Viry5117 vues au total, 0 vues aujourd'hui
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